Jenima
Je suis née en Algérie en décembre 1986. J’y ai vécu jusqu’à mes 7 ans, puis, guerre civile oblige, nous nous sommes réfugiés en France. Par la suite, nous y sommes retournés jusqu’à mes 10 ans. Et puis mes parents ont cessé de m’y emmener. Longtemps, des souvenirs me sont revenus par éclats. Boumerdès, surtout, la ville de mon enfance. Et le quartier Champ Manœuvre, Alger. Mais il fallut un certain cheminement mental pour envisager un cheminement géographique : petit à petit, Algérie et quête de soi sont devenues indissociables. C’est à l’automne 2014 que j’ai franchi le cap, après 17 ans d’absence.
En octobre 2014, je rencontre N., qui était la garde-malade de ma tante décédée. Très vite, elle me parle de sa mère, et de sa famille dans la banlieue jijelienne. Je lui demande si je peux l’y accompagner, elle accepte. A Jenima, petit village la wilaya de Jijel, je vis dans une ferme, sans gaz de ville ni eau courante. Les parents de N. sont là, ainsi que les fils, la femme de l’un d’eux, et leurs filles qui sont restées célibataires. Ils m’adoptent, bien qu’ils ne parlent pas français et que mon arabe soit alors relativement médiocre.
J’apprends qu’ils ont été touchés de très près par le terrorisme durant les années 90. Ceux qu’on appelle « les terros » racquettaient leurs terrains, leurs poules, leurs vaches, menaçaient de tuer les hommes et de violer les femmes. Ils étaient trop loin de la ville pour bénéficier de quelconque protection, ils vivaient dans la peur, ne mangeant qu’une fois par jour, ne dormant que par intermittence.
Pourtant, la vie est revenue très vite dans la ferme de Mohammed B. ; alors que lui s’occupe des champs et que ses fils sont en ville pour vendre les poules, je reste avec les femmes, les enfants. Ils doivent gagner environ 10 000 dinars par mois (l’équivalent de 70 euros) et pourtant ils m’ont adoptée. C’est de ce quotidien là dont j’ai voulu rendre compte à travers ces photographies.