Rue Belouizdad, Alger
2014/2019
Je suis née en Algérie en décembre 1986. J’ai vécu là-bas jusqu’à l'âge de sept ans. En raison de la guerre civile, mes parents et moi avons déménagé en France. Les années suivantes, nous y sommes retournés pour les vacances, jusqu'à mes 10 ans. Ensuite, mes parents ont cessé de m'emmener avec eux. Pendant longtemps, les souvenirs me sont revenus comme de vieux rêves. Souvenirs de Boumerdes, la ville de mon enfance, et du quartier « Champ Manœuvre » à Alger. Cependant, il a fallu un certain temps pour que le processus mental se transforme en un chemin géographique. En octobre 2014, je suis retournée en Algérie pour la première fois après 17 ans d'absence.
À Alger, je reste « rue Belouizdad », dans un quartier populaire, avec mes tantes, H. et N. Depuis la mort de leur sœur, deux ans auparavant, elles ont emménagé dans son appartement et n'en sont jamais parties. B. est également là, elle était l'infirmière de ma tante décédée, et elle est également restée dans l'appartement. Cette série photographique fait partie de ce petit appartement où nous vivons à quatre : quatre femmes. N., qui est retraitée, et H. qui est en congé maladie de longue durée. H. et N. passent une grande partie de leur temps à regarder par la fenêtre donnant sur la place du 1er Mai, à fumer des cigarettes et à dormir, comme pour se reposer d'un pays qui les a maltraitées, que ce soit par sa hogra* ou par sa "décennie noire", dont les cicatrices commencent à peine à se refermer.
Et puis il y a B., qui prend soin de tout et qui, lorsqu'elle ne prie pas, est toujours prête à préparer mes plats préférés. Et au milieu de tout cela, il y a moi. Moi, qui essaie de me réconcilier avec mes souvenirs dans un monde à la fois familier et étranger. Je prends des photos malgré le temps perdu, à travers mes images mentales.
En 2017, B. s'est mariée et ensuite, en 2020 et 2021, H. et N. sont décédées. Ce travail m'a permis, à travers la photographie, d'imprimer quelque chose de leur histoire, de la mienne et de celle de l'Algérie.
*hogra : selon Wikipédia, ce mot n'a pas d'équivalent sémantique direct en anglais et peut être traduit par mépris, injustice ou oppression selon le contexte.
I was born in Algeria in december 1986. I lived there until I was seven. Because of the civil war, my parents and I moved to France. The following years, we came back there for the holidays, until I was 10. Then my parents stopped bringing me with them. For a long time, memories came back to me like old dreams. Memories of Boumerdes, the city of my childhood, and the "Champ Manoeuvre" district, in Alger. However, it took some time for the mental process to turn into into a geographical path. In october 2014, I went back to Algeria for the first time after 17 years away.
In Alger, I stay "rue Belouizdad ", in a popular district, with my aunts, H. & N. Since the death of their sister, two years before, they moved in her flat and finally never leaved it. B. is also here, she was the nurse of my aunt who passed away, and she also stayed in the flat. This photographic series is part of this small apartment in which there are four of us living: four women. N., who is retired, and H. who is on long-term sick leave. H. and N. spend a large part of their time looking out the window over to the May Day square, smoking cigarettes, and sleeping, as if to rest from a country that has mistreated them, whether it is by its hogra*, or by its "black decade", whose scars are barely just healing.
And then there is B., who takes care of everything and who, when she is not praying, is always willing to prepare my favorite dishes. And in the middle of all that, there is me. Me, who tries to reconcile myself with my memories in a world that is both familiar and foreign to me. I take pictures despite the lost time, across my mental images.
In 2017, B. married and then, in 2020 and 2021, H. and N. passed away. This work has allowed me to, through photography, imprint something of their story, of mine and of that of Algeria.
*hogra: selon Wikipédia, ce mot n'a pas d'équivalent sémantique direct en anglais et peut être traduit par mépris, injustice ou oppression selon le contexte